Chronique
06/04/2022

Focus sur l’abandon de poste

L’abandon de poste apparaît, pour certains salariés, l’ultime solution pour en finir avec une situation inextricable au travail. L’objectif visé étant de mettre un terme à son contrat de travail sans préavis ni explications. Le phénomène, d’autant plus complexe à cerner en télétravail, est souvent symptomatique de l’épuisement des salariés et des situations compliquées dans lesquelles ils peuvent parfois se retrouver. Toutefois, l’abandon de poste n’est pas sans risques et peut finalement être une « fausse bonne idée ».

L’abandon de poste est un sujet sensible aussi bien pour les entreprises que pour les salariés. Pour les premières, il représente potentiellement un manque à gagner, la genèse d’un contentieux, et une désorganisation préjudiciable à l’entreprise. Pour les seconds, il peut mener à une perte financière importante, à des luttes ouvertes et à un risque de représailles.

Pourtant, dans un contexte de travail oppressant ou toxique, il arrive qu’un salarié se trouve dans une situation de blocage avec son patron : le premier refusant d’envisager une démission (notamment s’il justifie d’une ancienneté conséquente dans l’entreprise) et le second refusant d’envisager une rupture conventionnelle. Dans un tel contexte, l’abandon de poste peut représenter pour le salarié la solution ultime.

Comment définir légalement l’abandon de poste ?

D’un point de vue strictement légal, l’abandon de poste n’est pas défini par le Code du travail, mais comme il s’agit d’une violation du contrat de travail, il peut être sanctionné par un licenciement disciplinaire (C. trav., art. L. 1232-1 et s.).

Toutefois, la jurisprudence, elle, définit l’abandon de poste comme l’absence de son poste de travail d’un salarié, non autorisée par l’employeur ou non justifiée par un motif légitime1.

Trois critères à retenir, donc :

  •  une absence prolongée du salarié pendant les heures de travail, de manière ponctuelle ou sur plusieurs jours
  •  non autorisée par l’employeur
  •  non justifiée par un motif légitime (décès d’un proche, accident, souci de santé soudain, droit de retrait…)

S’agissant du formalisme : la démarche du salarié n’est soumise à aucune formalité particulière ni au respect d’une période de préavis. Il n’a donc aucune autre démarche à accomplir que celle consistant à quitter son emploi. En télétravail total, la notion est un peu plus complexe à cerner, et la question se pose alors de savoir comment marquer la rupture lorsque l’on travaille de chez soi. Étant précisé qu’un télétravail non autorisé peut parfois être assimilé à un abandon de poste et sanctionné par un licenciement. On parlera plutôt de refus de travailler et la lettre de licenciement sera davantage motivée par l’insubordination du salarié et son inertie. À ce sujet, il a été considéré que le fait pour un salarié de ne pas exécuter son travail conformément à ses obligations contractuelles, qu’il soit, ou non, physiquement présent dans l’entreprise, peut constituer une faute grave2.

À partir de combien de temps peut-on prononcer un licenciement pour abandon de poste ?

Toute absence doit être justifiée. Généralement, le règlement intérieur prévoit le délai dans lequel le justificatif d’absence doit parvenir à l’employeur. Le salarié est tenu de le respecter.

La première chose à faire pour l’employeur, avant même d’envisager toute discipline procédurale, est de se renseigner sur le motif de l’absence. À noter que la durée légale pour envoyer un arrêt de travail est de 48 heures.

De façon générale le soupçon d’abandon de poste ne peut être formulé par l’employeur avant au moins deux jours d’absence du salarié et seulement si l’employeur n’a pas reçu de justificatif d’absence (arrêt maladie…) au cours du premier ou deuxième jour.

Au-delà de ce délai, soit dès le troisième jour, l’employeur peut adresser au salarié une mise en demeure pour lui ordonner de réintégrer son poste sous une durée déterminée ou de justifier de son absence. Il s’agit d’une lettre recommandée rédigée dans les formes de la mise en demeure aux termes de laquelle il est expliqué au salarié que sans réponse de sa part dans un délai requis, l’employeur reprendra son entière liberté d’action.

Cette mise en demeure est donc essentielle car elle fait courir les délais d’action possibles pour l’employeur : de six semaines à deux mois étant précisé que, la date de réception retenue, en cas d’envoi recommandé, est celle de la première présentation à domicile, que le salarié ait été présent ou non. Donc peu importe si le salarié ne récupère pas ledit courrier, le processus disciplinaire décrit par les articles L. 1332-1 et suivants du Code du travail pourra démarrer.

En effet, sans réponse ni retour de l’employé, la direction pourra entamer une procédure de licenciement : pour cause réelle et sérieuse, ou pour faute grave selon les cas.

En cas d’abandon de poste, un employeur dispose d’un délai de deux mois à compter du jour où il a pris note de l’absence pour licencier le salarié pour cause réelle et sérieuse. La jurisprudence regorge d’exemples d’abandon de poste considérés comme une cause réelle et sérieuse de licenciement. En ce cas, le salarié percevra ses indemnités légales.

Toutefois dans certains cas, l’employeur souhaitera que le motif du licenciement soit la faute grave. L’entreprise devra alors prouver le préjudice subi par l’absence de la personne. Et dans ce cas, l’employeur dispose de six semaines à compter du jour où il a pris note de l’absence pour licencier le salarié pour faute grave. Au-delà de six semaines, il ne pourra plus faire valoir la faute grave. La justice reconnaît qu’un abandon de poste peut constituer une faute grave, mais pas si celui-ci intervient à la suite d’un arrêt maladie et sans que la visite de reprise n’ait été effectuée. De la même manière, six semaines ont été considérées comme un délai trop long pour justifier le caractère « grave » de la faute, étant donné que l’employeur a pu attendre six semaines sans en pâtir par ailleurs. Un délai « trop long » exclut nécessairement la faute grave3.

S’il s’agit d’une faute grave, elle est privative d’indemnités légales.

Cela étant, qu’il s’agisse d’une cause réelle et sérieuse ou d’une faute grave, le salarié pourra percevoir ses allocations chômage.

Toutefois, l’abandon de poste ne peut en aucun cas être considéré comme une démission.

En effet l’employeur ne peut pas considérer simplement que le salarié a donné sa démission et échapper ainsi au respect de la procédure de licenciement. En effet, la démission suppose de la part du salarié de manifester une volonté claire et non équivoque de démissionner.

À quoi s’expose un salarié qui abandonnerait son poste ?

Tout d’abord, le salarié qui abandonne son poste de travail, sans être couvert par un arrêt maladie, sera conséquemment privé de sa rémunération. L’employeur peut ainsi recourir à ce que l’on appelle des congés sans solde qui permettent, pour un mois complet d’absence, de sortir une fiche de paie à zéro ou presque (la mutuelle reste parfois due).

Cette situation peut durer jusqu’au retour du salarié après mise en demeure par l’employeur, jusqu’à la rupture conventionnelle ou jusqu’au licenciement.

Ensuite, deux scénarios sont possibles.

  • L’employeur déclenche une procédure de licenciement

Au-delà de deux mois à compter du constat de l’abandon de poste, l’employeur ne pourra ni licencier le salarié ni le sanctionner. Cela est cependant possible avant la fin de ce délai.

En effet, l’abandon de poste, comme les absences répétées, durables et non autorisées d’un salarié peuvent entraîner des sanctions disciplinaires allant jusqu’au licenciement.

Bien plus, s’il est établi que les absences répétées du salarié emportent désorganisation de l’entreprise ou que celui-ci a quitté son poste de travail alors que son employeur l’a mis en garde contre une telle attitude, son licenciement pour faute grave pourra être prononcé. L’employeur dispose d’un délai de six semaines à compter du constat de l’abandon de poste pour entamer une procédure de licenciement pour faute grave (la faute grave étant privative d’indemnités).

En tout état de cause, qu’il s’agisse d’une cause réelle et sérieuse ou d’une faute grave, le salarié pourra percevoir ses allocations-chômage. C’est la différence majeure avec la démission.

  • L’employeur décide de ne pas déclencher une procédure de licenciement

Le pire des scénarios pour le salarié serait de voir son employeur décider sciemment de ne pas le licencier (puisqu’il n’y est pas obligé), se contentant de suspendre sa rémunération, en le maintenant en poste.

En effet, l’employeur peut tout à fait choisir d’adopter une attitude passive et d’attendre le retour du salarié sans rien faire. Il peut d’autant plus opter pour cette stratégie lorsqu’il est confronté à un salarié qui souhaite dans les faits ne pas démissionner mais être licencié pour bénéficier du chômage.

Dans un tel cas de figure, le salarié ne recevrait ni ses indemnités de fin de contrat ni les allocations-chômage et pour clore le tout, il ne pourrait, en principe, pas commencer un nouvel emploi. Bref, il serait totalement bloqué et s’engagerait finalement dans une sorte de bras de fer avec son employeur, jusqu’à ce que l’un des deux finisse par « craquer » et décide d’initier la rupture.

Le salarié, dans une telle hypothèse, pourra espérer que l’employeur préfère régler sa situation et procéder à son licenciement, plutôt que de prendre le risque qu’il revienne à son poste de travail.

L’employeur espérera de son côté que, privé de rémunération, le salarié finisse par démissionner. Un dernier recours possible pour le salarié étant d’adresser non pas une lettre de démission mais un courrier de prise d’acte de la rupture, afin de garder une chance de la faire requalifier en licenciement aux torts de l’employeur avec toutes les indemnités et dommages et intérêts de droit si les manquements de l’employeur sont caractérisés.

À défaut, la rupture vaut démission.

Dans ce cas, tant que le salarié n’a pas obtenu gain de cause devant le conseil de prud’hommes, il n’a pas droit au chômage.

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail constituant un mode de rupture technique, il est préférable de se faire assister pour le mettre en œuvre.

Le salarié peut-il être poursuivi ?

Dans le cas d’un licenciement, le motif du licenciement sera dans la plupart des cas un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Si l’employeur peut justifier d’une désorganisation préjudiciable à l’entreprise du fait de l’abandon de poste, il peut dans ce cas envisager un licenciement pour faute grave, faisant perdre au salarié le bénéfice de ses indemnités de licenciement et celle compensatrice de préavis (sauf dispositions conventionnelles inverses).

Lorsque la désorganisation est telle que l’entreprise a subi un préjudice, notamment financier, compte tenu de l’abandon de poste, celle-ci est en mesure d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre du salarié défaillant qui s’expose au versement de dommages et intérêts.

Si le cas est certes moins fréquent, il existe : l’employeur peut exiger, devant le conseil de prud’hommes, des dommages et intérêts et devra alors prouver que l’abandon de poste lui a causé un tort financier.

Si le salarié non licencié travaille ailleurs alors qu’il fait encore partie des effectifs il s’exposerait alors à devoir verser des dommages et intérêts.

Enfin, le salarié s’expose à nuire à sa réputation, notamment si le milieu professionnel ciblé est un petit marché.

Quels sont les droits d’un salarié qui aurait abandonné son poste ?

À tort, certains pensent que l’abandon de poste déclenchera automatiquement l’ouverture des droits au chômage. Or, pour cela, il faut d’abord que l’employeur décide d’initier la procédure de licenciement. Il n’y a rien d’automatique ou d’obligatoire et cela reste la décision de l’employeur.

En cas de cause réelle et sérieuse, une fois le licenciement du salarié prononcé, et seulement à ce moment-là, son contrat de travail sera rompu et il pourra bénéficier des allocations chômage et des indemnités de licenciement.

En cas de licenciement pour faute grave, le salarié ne bénéficie ni d’indemnités de préavis, ni d’indemnités de licenciement. En revanche il bénéficie des allocations versées par Pôle emploi (l’allocation d’aide au retour l’emploi (ARE)) et peut aller s’inscrire au chômage dès réception de ses documents de fin de contrat.

Autrement dit, il faut d’abord que la procédure de licenciement ait abouti.

Si l’abandon de poste est souvent une solution d’ultime recours pour marquer une rupture nette de son contrat de travail, force est de constater qu’il n’y a rien d’automatique et qu’elle n’est pas sans risque. Bien évidemment il conviendra d’envisager auparavant l’alternative de la rupture amiable.

Publié par Sabine Sultan Danino, avocate 

Un partenariat avec Actu-Juridique, cliquez ici

actu_juridique.png