Chronique
25/05/2022 (Modifié le 29 sept. 2022 à 16:02:59)

Julie Baudet : « Grâce au barème, salariés et employeurs arrivent à se mettre d’accord » !

Entré en vigueur en 2017, le barème Macron fixe les sommes versées en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Les indemnités sont encadrées par des planchers et des plafonds établis en fonction de l’ancienneté du salarié et des effectifs de l’entreprise. Quelle incidence ont-ils eu sur les condamnations prononcées par les prud’hommes ? Le point avec Me Julie Baudet, avocate en droit du travail au barreau d’Angers.

Voyez-vous une différence depuis l’adoption du barème Macron ?

Julie Baudet : Avocate en droit du travail, je fais du conseil et du contentieux pour le compte des chefs d’entreprise. Je plaide dans les juridictions du grand Ouest, dans le ressort des cours d’appel de Rennes, Poitiers et Orléans. J’observe que ces juridictions suivent le barème, que ce soit en première instance ou en appel. Je n’ai pas rencontré de cas dans lesquels la juridiction aurait écarté ce barème au motif que le préjudice subi par le demandeur serait supérieur à ce qui est prévu au nom du principe de l’ancienneté. Je considère que c’est une bonne chose. Cela nous permet d’avoir entre confrères une base de discussion pour aboutir à un accord amiable, et de solder les litiges avec de petit enjeux en termes de montants. En février et mars, j’ai ainsi traité trois dossiers sur lesquels les parties sont parvenues à un accord avant que l’affaire ne soit plaidée en première instance. Cela se voit de plus en plus.  Cette solution a des avantages tant du côté du salarié que de celui de l’entreprise. Pour les salariés, la somme perçue ne leur impose pas de carence à Pôle emploi et ne vient pas imputer leurs droits au chômage. Du côté des entreprises, l’indemnité de conciliation est exonérée de toute charge sociale.

Qu’ont changé les ordonnances Macron à votre pratique professionnelle ?

Julie Baudet : En plus du barème, ces ordonnances ont apporté différents outils aux avocats de chefs d’entreprise. Nous avons obtenu une limitation de la prescription. Avant 2017, un salarié pouvait attendre jusqu’à deux ans pour attaquer sa rupture de contrat et son licenciement. Cette durée a été ramenée à un an. Cela sécurise les employeurs qui encourent une année de risque potentiel en moins. Une autre avancée concerne les reclassements pour licenciement économique. Autrefois, l’état du droit, à travers la jurisprudence établissait une obligation de reclassement de l’employeur dans toutes les entités avec lesquelles il avait un lien d’organisation et de mise en œuvre de projets. Dans le cas d’un groupement d’enseignes, un employeur devait ainsi interroger tous ses collègues en cas de licenciement économique. C’était impossible. Les ordonnances bornent aujourd’hui cette obligation aux sociétés avec lesquelles il existe un lien capitalistique.

Des barèmes existaient-ils avant ces ordonnances ?

Julie Baudet : Il y existait déjà des barèmes, établis par les cours d’appel pour assurer une cohérence entre les décisions rendues. Ils étaient également fondés sur l’ancienneté, mais étaient plus généreux pour les demandeurs. On constatait que les juridictions octroyaient globalement un mois d’indemnité par année d’ancienneté. Pour 20 ans d’ancienneté, elles donnaient ainsi 20 mois de salaires. Aujourd’hui, il y a des plafonds, et les indemnités prononcées sont plus mesurées.  Les tribunaux peuvent octroyer de 3 à 20 mois d’indemnités en fonction de l’ancienneté. Pour une entreprise de plus de 11 salariés, le texte applicable avant septembre 2017 prévoyait une indemnisation de 6 mois à partir de deux ans d’ancienneté. Aujourd’hui, dans le même cas de figure, cette indemnisation est de 3 mois, c’est à dire moitié moins. Ces écarts se creusent davantage encore quand l’ancienneté est importante. Récemment, j’ai eu une décision de cour d’appel dans laquelle une personne avec 36 ans d’ancienneté a obtenu 12 mois seulement d’indemnités. Cela peut sembler peu par rapport à ce qui se pratiquait il y a quelques années, mais il faut resituer le contexte. En l’occurrence, la personne avait retrouvé un emploi. L’employeur avait un niveau économique faible, et il s’agissait d’un licenciement d’inaptitude avec la reconnaissance d’une maladie professionnelle qui n’avait rien à voir avec l’entreprise.

Les décisions se sont donc standardisées ?

Julie Baudet : Ce barème est un cadre au sein duquel le juge est libre de se prononcer. Il est déjà arrivé que des juges du fond l’écartent, estimant qu’il n’est pas conforme à la convention numéro 158 de l’Organisation internationale du travail. J’ai pu lire des jugements dans lesquels le barème avait été écarté. La décision avait généralement été prise eu égard au faible salaire du demandeur. Le montant de la rémunération est clairement pris en compte, tout comme la situation du salarié et son employabilité. Je note aussi l’utilisation du barème au maximum quand les juges ont une volonté de sanctionner l’employeur. S’ils considèrent que le licenciement a eu lieu sans causes réelles et sérieuses, ou que l’employeur a manqué de loyauté et n’a pas respecté les droits des salariés, ils prononcent des indemnités plus élevées.

Ce barème est intéressant car il fixe un cadre sans retirer la liberté du juge. Je m’attendais à un barème plus rigide et cela me faisait un peu peur. Je n’aurais pas trouvé juste qu’un montant fixe soit imposé en fonction de la seule ancienneté.  Finalement, le barème tel qu’il existe, avec un seuil et un plafond, et une liberté pour le juge de placer le curseur où il le souhaite, me semble équilibré. Si je compare mes dossiers actuels à ceux d’il y a dix ans, les indemnités maximums sont moindres aujourd’hui. Les condamnations sont moins fortes qu’autrefois.

Pourquoi estimez-vous qu’il était nécessaire de rééquilibrer cette justice au profit de l’employeur ?

Julie Baudet : Les mots « chef d’entreprise » et « employeur » dans le Code du travail concernent aussi bien l’artisan qui a un salarié que l’employeur à la tête d’un groupe de 1 500 personnes. Le petit artisan va peut-être faire défaut à telle obligation d’information ou d’affichage, sans nuire pour autant à ses salariés. J’ai assisté à des saisines prudhommales émanant de personnes qui avaient constaté que l’employeur n’avait pas rempli une obligation, alors même que cette situation ne leur portait pas préjudice. Les indemnités étaient une sorte de dû, de principe. Une régulation a été voulue pour empêcher les abus. Cela va avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui  a évolué sur le sujet. Il n’y a plus de préjudicie automatique. Un salarié qui revendique une indemnisation en raison d’un préjudice doit démontrer son préjudice et exposer l’évaluation de ce dernier. Le droit prudhommal est un droit de la preuve.

Les salariés sont donc les grands perdants de cette réforme…

Julie Baudet : Il faudrait poser également la question à un avocat de salarié, mais il me semble que ces derniers peuvent y trouver un intérêt.  L’utilisation du barème permet de trouver un accord amiable, ce qui a pour conséquences d’éviter au salarié d’engager des frais de défense importants en vue d’une plaidoirie. L’avocat de salarié peut dire plus clairement à son client quelles sont les perspectives de son dossier et quels résultats il peut attendre d’un procès. Quand le salarié perd son emploi et considère qu’il vit une injustice non fondée, il est dans une situation de ressentiment. Le barème peut aider l’avocat à convaincre son client d’être plus raisonnable. L’aléatoire qui prévalait avant le barème n’aidait pas à cela.

Me Julie Baudet, avocate en droit du travail au barreau d’Angers.
Un article en partenariat avec Actu-Juridique 

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